Statistique inférentielle et psychométrie appliquée

4. Mesurage : logique et usage

4.3. Le type à la place de la personne

Examinons à présent comment l'idée de grandeur est utilisée. On trouve d'autres propositions qui attestent que l'attachement au quartier s'appréhende comme une intensité :

  • "Nous postulons donc que l'attachement au quartier sera plus intense en début qu'en fin d'adolescence" (p. 613).
  • "[...] les femmes s'attacheraient davantage à leur quartier que les hommes" (p. 613).
  • "[...] un attachement au quartier plus intense chez les jeunes filles que chez les jeunes hommes (p. 613). 

L'attachement au quartier est conçu comme une grandeur mesurée de manière ordinale, c'est-à-dire que les auteurs s'intéressent à des comparaisons (plus que, moins que). D'un point de vue syntaxique, les propositions pertinentes ont la forme suivante :

L'intensité de l'attachement au quartier de X est plus grande ou plus petite que l'intensité de l'attachement au quartier de Y.

La question est alors de savoir ce que recouvrent les variables X et Y. "Les jeunes en début ou en fin d'adolescence" ne désignent personne en particulier, mais peut-être cette appellation désigne-t-elle quiconque de manière générale.

Précisons le sens de ces derniers termes à l'aide d'un exemple. Considérons l'ensemble {a, b, c, d, e}. L'élément e est un élément particulier en ce sens qu'il n'est pas a ni b par exemple. L'élément e est un élément quelconque en ce sens que j'aurais pu considérer n'importe quel autre élément de cet ensemble. Dans cette seconde perspective, je ne m'intéresse pas à ce qui fait de e un objet particulier, il me suffit de savoir qu'il appartient à l'ensemble. L'ensemble fonctionne alors comme une classe d'équivalence, ou encore une classe de référence, c'est-à-dire que ses éléments sont équivalents du point de vue du critère qui permet de les inclure dans l'ensemble.

Relisons donc la première proposition. L'attachement au quartier ne réfère à personne en particulier. Mais nous savons déjà que l'attachement ne réfère pas non plus à un adolescent quelconque, puisqu'il n'est pas question de nier les singularités des personnes de la classe "adolescents", notamment du point de vue de la manière dont les adolescents particuliers sont attachés à leur quartier.  L'attachement au quartier qui intéresse les chercheurs est l'attachement au quartier de deux abstractions, ou encore de deux types : le jeune en début d'adolescence, le jeune en fin d'adolescence. Ces entités ont la fonction de résumer de manière idéalisée des réalités disparates (cf. Desrosières, 2000).

Dans la seconde proposition, l'attachement réfère aux femmes et aux hommes. La locution "Les femmes" ne désigne ni un élément particulier ni un élément quelconque, mais un ensemble de personnes ayant la propriété d'être femme. De même pour "les hommes". Il est difficile de donner un sens à l'attachement au quartier d'un ensemble ou encore d'une catégorie . Si on s'intéresse à l'attachement au quartier d'un groupe de personnes, ce sera pour se demander s'il existe ou non des différences entre ces personnes. S'il n'en existe pas, alors les personnes du groupe ne seront plus particulières mais quelconques du point de vue de l'attachement au quartier -- c'est-à-dire qu'elles seront devenues interchangeables non seulement du point de vue du critère qui fait qu'elles appartiennent au groupe, mais encore du point de vue d'un autre critère logiquement indépendant du premier (cf. la distinction entre VI et VD).

Ici, l'attachement au quartier est une grandeur qui caractérise un ensemble, indépendamment du fait que les éléments qui composent cet ensemble soient interchangeables du point de vue de la grandeur. Nous comprenons la seconde proposition en remplaçant "les femmes" par "la femme typique" et "les hommes" par "l'homme typique". Mais alors la question qui se pose est de savoir qui sont ces types. La femme typique et l'homme typique n'existent pas dans la nature. Ce sont des constructions de la pensée. Nous venons de découvrir que les auteurs s'intéressent à l'attachement au quartier de personnes typiques et non pas de personnes réelles. Les chercheurs s'intéressent ici à la psychologie de types, par opposition à la psychologie des personnes réelles. Si les chercheurs étaient des sociologues, comme les sociologues définissent leur objet comme quelque chose qui transcende les personnes d'une société, la question du statut ontologique du type -- entité qui existe indépendamment de nous ? -- se poserait d'une autre manière. Il est probable cependant que la spécificité du social par rapport au psychologique ne se réduise pas à la notion statistique de typicité.

La troisième proposition s'interprète de la même manière : les auteurs s'intéressent à la jeune fille et au jeune homme typiques. Le problème qui se pose maintenant est de savoir comment on fait pour mesurer l'attachement au quartier de ces types.

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