Algèbre d'événements

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Cours: UOH / Statistique et Psychométrie en L2
Livre: Algèbre d'événements
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Date: jeudi 9 mai 2024, 21:25

Description

Objectifs. Définir et illustrer la notion d'algèbre d'événements.

Prérequis.

Résumé. La notion de fréquence conditionnelle repose sur la donnée d'un couple de variables discrètes (XY). La fréquence d'une certaine valeur yj en Y conditionnellement à une certaine valeur xi en X est la proportion des cas de la classe xi qui ont pour valeur yj.


1. Pourquoi se compliquer la vie ?

Dans le cadre de la théorie représentationnelle de la mesure, on peut représenter des événements par des nombres pourvu qu'on n'applique pas à ces nombres des opérations algébriques qui n'ont pas de sens du point de vue des événements représentés. Par exemple, considérons l'item "je me sens anxieux" : non (1), plutôt non (2), plutôt oui (3), oui (4). Sion se sert des codes numériques des réponses pour les additionner par exemple, on quitte le domaine empirique pour le royaume des rêves éveillés : la proposition "non + plutôt non = plutôt oui" n'a pas de sens.

Cette absence de sens empirique passe en général inaperçue si l'attention est focalisée sur l'intuition selon laquelle l'anxiété est une grandeur. D'où la possibilité de qualifier les scores psychométriques de scores intuitionnistes, puisqu'ils servent à véhiculer avec une précision algébrique des intuitions issues de la vie quotidienne et du langage courant. Le problème avec l'intuitionnisme est que la grandeur intuitive est une entité qui fonctionne comme une entité religieuse polythéiste : comme les esprits, son existence n'est pas mise en doute et il n'est pas question d'en faire la critique rationnelle : "rien ne dit qu'un jour on ne saura pas la mesurer vraiment" (un enseignant responsable d'un enseignement de méthodologie). D'où un conflit avec la démarche scientifique.

2. Événements associés à une épreuve

La mathématisation de l'empirique est constitutive de la démarche de l'acquisition de connaissances scientifiques.

"La connaissance scientifique de ce qui relève de l'expérience consiste toujours à construire des schémas ou modèles abstraits de cette expérience, et à exploiter, au moyen de la logique et des mathématiques, les relations entre les éléments abstraits de ces modèles, de façon à en déduire finalement des propriétés correspondant avec suffisamment de précision à des propriétés empiriques directement observables" (Granger, 1995, p. 70).

Si la psychologie doit devenir une science, elle n'échappe pas à la nécessité de mathématiser son domaine d'observations.Dans cet article, nous nous appuierons sur le chapitre introductif de l'ouvrage d'Alfred Rényi (1966) sur les probabilités. Rényi définit un événement comme un objet mathématique, c'est-à-dire comme un concept dont la signification est axiomatique. Pour le psychologue, la notion d'algèbre des événements est intéressante parce qu'elle lui permet de mathématiser le monde des phénomènes qu'il veut décrire et étudier.

Nous présenterons quelques notions fondamentales de l'algèbre des événements en les illustrant autant que possible avec des exemples.

La notion d'épreuve est indissociable de celle d'événement. "À chaque épreuve est attachée un certain ensemble de résultats possibles ; de chaque événement de l'algèbre d'événements, on doit pouvoir affirmer, pour chaque résultat de l'épreuve [comprendre "chaque résultat possible"], s'il a eu lieu ou non" (Rényi, 1966, p. 2).

Donnons tout de suite un exemple inspiré par le travail de deux étudiantes en psychologie. Paul est un garçon de 3 ans qui joue avec sa mère dans une pièce. Au signal du psychologue, celle-ci quitte la pièce sans dire un mot et ferme la porte. Le psychologue est intéressé par la manière dont Paul réagit à ce départ. La description d'une réaction suppose deux données : l'état de Paul avant que sa mère ne le quitte (état initial), et l'état de Paul après que sa mère l'a quitté (état final). Nous négligerons la question de savoir ce qu'on appelle exactement "avant" et "après" pour aller à l'essentiel.

Ce que fait Paul avant que sa mère ne le quitte est une épreuve, qu'on peut noter E1 pour mémoire. Ce qu'il fait au moment où sa mère le quitte est une autre épreuve, qu'on peut noter E2. Les épreuves E1 et E2 sont associées à des événements possibles et il s'agit d'expliciter leur structure logique, autrement dit leur algèbre.

Le psychologue peut considérer les événements suivants : sourire (A), rire (B), s'impliquer dans le jeu (C), pleurer (D), crier (E), donner des coups (F). Nous négligerons le problème de l'objectivité de ce type d'événements, en considérant que tout observateur est interchangeable avec tout autre observateur. Le problème est de construire, à partir de ces éléments, la théorie descriptive de Paul dans cette situation (ou de tout autre enfant dans cette situation). Suivons Rényi avec cet exemple en tête.

3. Identité de deux événements

Soient alors les événements A, B, ..., F. "Nous considérons comme identiques deux événements qui, pour chaque résultat de l'épreuve, sont toujours ou tous deux réalisés, ou tous deux non réalisés. Le fait que les événements A et B sont identiques s'exprimera par A = B" (p. 2).

Ici, quelques commentaires sont nécessaires. Comment faire pour savoir si deux événements différents d'un certain point de vue "sont toujours ou tous deux réalisés, ou tous deux non réalisés" ? En fait, on raisonne pratiquement de manière inverse : on part du postulat d'identité et on en déduit que les deux événements "sont toujours ou tous deux réalisés, ou tous deux non réalisés", ce qui veut dire qu'il est inutile de les distinguer.

Dans le cadre de la recherche empirique, si deux événements peuvent être distingués d'un certain point de vue, il faut continuer de les distinguer théoriquement car on ne peut pas prouver qu'ils "sont toujours ou tous deux réalisés, ou tous deux non réalisés".

4. Négation d'un événement

"La non-réalisation d'un événement A est aussi un événement, qui s'écrira ¬A" (p. 3). A et ¬A sont des événements dits opposés. Il résulte de la définition de l'identité que ¬(¬A) = A car ¬(¬A) et A sont ou bien réalisés en même temps, ou bien non-réalisés en même temps.

Démonstration : ¬(¬A) est la non-réalisation de la non-réalisation de A, i.e., la non-réalisation de ¬A, donc la réalisation de A. Une double négation est une affirmation.

Remarque : le recours au temps (toujours) est inutile.

5. Produit de deux événements

Deux événements A et B peuvent se réaliser en même temps. On note AB cet événement spécifique et on l'appelle le produit de A et B.

Remarque : le produit correspond au "et" logique.

Commutativité : On a AB = BA. L'ordre des événements dans la proposition AB n'a pas d'importance, on peut commuter leur place -- la place n° 1 ou la place n° 2).

Idempotence : AA = A.

Associativité : A(BC) = (AB)C = ABC.

Événement impossible : (¬A)A = O.

6. Somme de deux événements

Soient deux événements A et B. L'événement qui se produit quand au moins l'un des deux événements a lieu est appelé la somme des événements et s'écrit A + B.

Remarque : la somme correspond au "ou" logique ("ou" inclusif, et non pas exclusif qui correspond à l'exclusion mutuelle).

Commutativité : A + B = B + A.

Idempotence : A + A = A (et non pas 2A).

Associativité : A + (B + C) = (A + B) + C = A + B + C.

Événement certain : A + (¬A) se produit nécessairement et on le note I.

Remarque : ¬I = O.

7. Distributivité du produit et de la somme

On a A(B + C) = AB + AC ;

Démonstration : "A(B + C)" se lit "A et (B ou C)".

Si B et C alors A et B et A et C donc AB + AC (l'un des deux termes de l'addition au moins est réalisé).

Si B et ¬C alors AB et donc AB + AC.                                                                                                                                                        

Si ¬B et C alors AC donc AB + AC.

On a A + BC = (A + B)(A + C).

Démonstration : "A + BC" se lit "A ou (B et C)".

Si A alors A + B d'une part, et A + C d'autre part, d'où (A + B)(A + C).

Si BC alors B d'une part et C d'autre part, d'où A + B d'une part et A + C d'autre part, d'où (A + B)(A + C).

8. Opposé d'un produit et d'une somme

On a immédiatement :

¬(AB) = (¬A) + (¬B),                                                                                                                                                                                                           

¬(A + B) = (¬A)(¬B). 

9. Algèbre de Boole

On dit qu'un ensemble Å d'éléments A, B, C, ... est une algèbre de Boole si :

  • A et B étant deux éléments quelconques de Å, il existe un et un seul élément de Å, appelé produit de A et de B et noté AB, et un seul élément de Å, appelé somme de A et de B et noté A + B,
  • à tout élément A de Å correspond un élément de Å noté ¬A,
  • il existe deux éléments particuliers de l'ensemble Å : O et I (p8).

Revenons à notre préoccupation empirique : une description empirique utilisable scientifiquement doit être une algèbre de Boole parce que cette algèbre constitue un fondement logique aux descriptions possibles. La description d'Emma Bovary dans le roman de Flaubert serait utilisable scientifiquement si on pouvait expliciter l'algèbre de Boole qui sous-tend la compréhension des événements psychologiques dont est affectée Emma.

D'une manière générale, les descriptions qui relèvent de la psychologie dite (abusivement) qualitative souffrent d'un défaut de formalisation du référentiel de description (par exemple, les descriptions des réponses d'un individu quelconque au test de Rorschach ne sont pas associées à une algèbre de Boole).

Au contraire, les réponses possibles à un questionnaire ou à un test constituent une algèbre de Boole. Par exemple, les événements sourire (A), rire (B), s'impliquer dans le jeu (C), pleurer (D), crier (E), donner des coups (F) génèrent une algèbre de Boole, qui est le produit cartésien

Å = {A, ¬A} × {B, ¬B} × {C, ¬C} × {D, ¬D} × {E, ¬E} × {F, ¬F}.

10. Événements composé vs. élémentaire

Un événement A d'une algèbre de Boole Å est dit composé quand il peut être représenté par la somme de deux événements, chacun d'eux étant différent de A (p. 9). Par exemple si on dit que Paul est en train de sourire (A) et de donner des coups (F) en s'impliquant dans le jeu (C), il s'agit d'un événement composé parce qu'il peut s'écrire

ACFBDE + ACFBD(¬E) + ACFB(¬D)E + ACFB(¬D)(¬E) + ACF(¬B)DE + ACF(¬B)D(¬E) + ACF(¬B)(¬D)E + ACF(¬B)(¬D)(¬E).

On s'aperçoit qu'une description incomplète, ou encore partielle, ou encore partiellement déterminée, est un événement composé. On voit ici que l'intuition véhiculée par le langage courant n'alerte pas sur le caractère incomplet de la description parce que l'intuition n'explicite pas le cadre de référence (le référentiel) de la description. C'est pourquoi une description littéraire n'est pas une description scientifique (cf. l'article Mesurer ou décrire ?).