Psychologie, statistique et psychométrie

Cette première grande leçon introduit la psychométrie et la statistique dans la perspective historique du développement de la psychologie scientifique à partir du XIX e siècle, afin de permettre aux étudiants de comprendre les enjeux épistémologiques, scientifiques, et techniques de ces matières. Ces enjeux comprennent en particulier l'établissement de grandeurs mesurables et la mise au point de méthodes objectives pour l'étude de la variabilité induite expérimentalement ou observée en condition naturelle.

Rédaction : Éric Raufaste, Stéphane Vautier

5. Quantification de la variabilité

5.1. Pourquoi quantifier le réel ?

Nous l'avons vu dans les articles précédents, faire de la science consiste fondamentalement à produire un discours sur le réel. Ainsi définie, la science ne se distingue toutefois pas du langage ordinaire, au moins lorsque celui-ci s'applique à décrire la réalité. D'un autre côté, on sait bien que les livres de science comportent un mélange (savant, c'est le cas de le dire) de mots du langage ordinaire et de formules ésotériques dont la signification mystérieuse échappe au commun des mortels. Pourquoi les scientifiques s'embêtent-ils à apprendre et à utiliser un langage aussi compliqué ?

Certes, on pourrait imaginer qu'il s'agit uniquement des vestiges d'une époque révolue où les autorités ecclésiastiques protégeaient leurs prérogatives en se parant du mystère de la possession de la Connaissance. Mais cette explication est un peu courte. Une autre explication, plus naturelle, consiste à dire que la réalité est complexe et que, au fur et à mesure que les connaissances se développent, de nouveaux mots sont créés pour la décrire. Ainsi le langage d'une discipline s'enrichit-il progressivement au point de devenir inaccessible aux non-spécialistes. Certes. Cela ne fait aucun doute mais n'explique encore pas pourquoi les scientifiques s'évertuent à introduire des équations mathématiques et autres formalismes dans leurs discours... D'aucuns, surtout en psychologie, pourraient être tentés de prétendre que les mots devraient suffire, mais justement les mots ne suffisent pas. Les langages formels (mathématiques, langages informatiques...) sont plus complexes à apprendre car précisément ils ne nous sont pas naturels. Leur emploi oblige à une rigueur et une précision qui ne tolèrent pas cette ambiguité qui est paradoxalement un des avantages du langage naturel pour la communication sociale. Mais en retour, cette rigueur et cette précision réduisent le risque de construire des théories incohérentes, tandis qu'avec les constructions verbales en langage naturel, la puissance de la rhétorique autorise souvent des conclusions hasardeuses dont le caractère infondé passe inaperçu.

Plus encore, une fois acceptées et maîtrisées les contraintes d'emploi du langage formel, ce dernier devient un outil de raisonnement qui permet d'aboutir ainsi à des conclusions qu'il aurait été tout simplement impossible d'atteindre au moyen de la seule intuition. Ainsi, si l'on parvient à quantifier un phénomène, on peut alors appliquer aux valeurs obtenues les règles de combinaison en vigueur dans l'univers des nombres pour prédire le comportement des phénomènes étudiés. Certaines de ces règles reposent sur des théorèmes sophistiqués et permettent ainsi à tout un chacun d'utiliser sans avoir à les redécouvrir des modes de pensée développés par quelques uns des plus grands penseurs de l'histoire de l'humanité. On peut aussi mécaniser les traitements (i.e., les informatiser) et parvenir ainsi à élaborer des résultats ou des prédictions tout simplement inaccessibles par la pensée naturelle.

 Nous allons maintenant explorer plus en détail les processus de quantification de la variabilité. Et, pour cela, nous allons devoir produire un certain nombre de définitions.