Psychométrie

Cette grande leçon développe la problématique de la mesure en psychologie dans une perspective épistémologique et historique. Il s'agit de poser le problème de l'observation objective et quantitative du comportement d'une part, et le problème de l'interprétation des données comme des variables théoriques d'autre part.

Rédaction : Stéphane Vautier

4. Compétences pour maîtriser un test psychométrique

4.2. Interpréter les résultats psychométriques

L'interprétation des résultats psychométriques est une tâche délicate. Il s'agit d'un processus du type :

Observant A, nous énonçons B.

Le problème épistémologique qui se pose est de déterminer la validité de l'énoncé B. Trois cas peuvent être envisagés :

  • B est vrai,
  • B est faux,
  • on ne sait pas (soit pour des raisons d'ordre pratique, qui limitent provisoirement l'état des connaissances, soit parce que B est formulé de telle façon qu'il n'est pas possible de définir un critère de validité logique de l'énoncé).

En cas d'incertitude, on cherche à réduire cette incertitude en adoptant un point de vue statistique pour ensuite exprimer des propositions probabilistes. Par exemple, un énoncé probabiliste est :

il y a 90% de chances que B soit vrai.

Restons conscient qu'on ne sait toujours pas si B est vrai ou faux. On sait seulement que si l'on a à répondre 100 fois à la question, on se trompera moins souvent en répondant Vrai qu'en répondant Faux. Ainsi, l'incertitude est diminuée à l'échelle statistique, pas à l'échelle individuelle.

On pourrait espérer qu'un test psychométrique permette de produire des affirmations valides ou tout au moins relativement fiables. Le discours produit à partir de ce qui est observé avec un test est parfois éloigné de cet idéal.

Si l'on attend d'un test qu'il permette de réduire l'incertitude pronostique ou diagnostique, il doit s'appuyer sur des connaissances empiriques fermes. Bien souvent, l'interprétation des résultats d'un test, voire d'un examen psychologique, est constituée de propositions conventionnelles, qui dressent un portrait psychologique de la personne, portrait qui est difficile à démentir ou à confirmer en raison de son caractère évasif.

Pour illustrer ce qui précède, empruntons à Costa et McCrae un exemple d'interprétation des résultats psychométriques. Costa et McCrae sont les auteurs du NEO PI-R, un inventaire de personnalité utilisé internationalement. On lit dans le manuel du test à propos d'une étude de cas : "Ce profil nous permet d'émettre un pronostic [thérapeutique] favorable pour cette patiente : des notes moyennes sur N et élevées sur C sont associées à la réussite des traitements..." (Costa et McCrae, 2007, p. 24).

N et C représentent des dimensions de personnalité ; ce sont des construits. Les auteurs font référence à des études statistiques qui permettent d'estimer la précision moyenne avec laquelle on peut prédire l'issue des "traitements", connaissant les scores en N et en C. Ces études utilisent des modèles de prévision statistique. Cependant, lorsqu'on s'intéresse à un individu en particulier, un modèle de prévision statistique n'est d'aucune utilité. Dans un modèle de prévision statistique, la notion de qualité de la prévision moyenne est définie non pas au niveau individuel, mais au niveau d'une population d'individus. Autrement dit, lorsqu'il prédit une issue favorable à partir des scores en N et C, le psychologue ne sait pas si l'issue sera effectivement favorable. L'application systématique du modèle de prévision lui permet de minimiser la moyenne des erreurs de prédiction au fur et à mesure qu'augmente le nombre des personnes pour lesquelles il prédit l'issue du traitement. En résumé, la proposition

"nous observons des scores en N et C tels que l'issue du traitement est probablement favorable"

n'est pas une proposition forte, en ce sens qu'elle n'apporte pas beaucoup d'information pour éclairer le cas de la patiente. D'un point de vue légaliste, la patiente ne peut pas reprocher au psychologue de s'être trompé dans son pronostic si celui-ci est explicitement basé sur un modèle statistique.

Parfois, l'interprétation des scores est une reformulation en langage naturel du profil des scores. Par exemple, on peut lire à propos de l'interprétation d'un autre profil de personnalité établi avec le NEO PI-R des passages comme "Cet individu est anxieux, généralement craintif et il a tendance à se faire facilement du souci. Il se met parfois en colère contre les autres et se sent souvent triste, seul et rejeté" (p. 28). Certains tests informatisés produisent ce type de prose de manière automatique à partir des réponses aux items.

L'interprétation des résultats psychométrique sera plus satisfaisante si l'on dispose d'une théorie forte expliquant les scores. Par exemple, si l'on sait que des lésions cérébrales d'un certain type provoquent des troubles cognitifs qui se traduisent par des difficultés à répondre aux items d'un test, on peut déduire que la présence de ces lésions implique un faible score au test. Par conséquent, un score élevé permettra d'écarter l'hypothèse de l'existence de ce type de lésion (conclusion de premier type). Un score faible permettra seulement de confirmer la possibilité de la lésion.

L'interprétation des résultats d'un test fait donc appel à des connaissances théoriques et empiriques d'une part, ainsi qu'à un sens critique développé. Une bonne formation logique et épistémologique est à cet égard un atout précieux.