La pérennité d'un concept en dépit de sa remise en cause
Dans développement durable les deux termes sont discutables, et dans tous les cas discutés. La notion de développement durable peut apparaître comme un simple avatar, un de plus, du développement tout court. Or, cette notion de développement est contestée depuis plusieurs décennies, parfois de manière radicale. Elle constitue une source inépuisable de malentendus, voire de mystifications. Tout d'abord entre les cultures occidentales, dans lesquelles est considéré comme une évidence que toute société désire le développement, et d'autres cultures dans lesquelles l'idée de développement, a fortiori lorsqu'elle est centrée sur le progrès technique et la maîtrise de la nature, paraît incongrue, pour ne pas dire totalement exotique.
Il faut cependant convenir que la vision occidentale du développement est celle qui l'emporte largement aujourd'hui. Le développement est aussi une source de malentendus au sein même des cultures occidentales, entre d'une part ceux pour qui il signifie modernisation, progrès technique, compétitivité, bref : croissance économique, et d'autre part ceux pour qui l'amélioration des conditions matérielles d'existence n'est qu'un volet, parfois même secondaire, de ce qu'ils entendent par « développement social » ou « développement humaniste ». Dans cette perspective, Serge Latouche, parmi d'autres, souhaiterait rompre avec cette ambiguïté, abandonner le terme de développement et parler plutôt, par exemple, « d'épanouissement ». A quoi tient cet engouement pour une notion par ailleurs si décriée ? Bertrand Cabedoche propose une réponse : Le mot développement a pu perdre de son attrait au contact de trop d'expériences décevantes. Il reste le seul vocable que partagent tous les humains pour dessiner leur espoir.[1]
Le terme « durable » peut s'analyser dans le même esprit, comme le fait Alain Miossec : Durable est un mot magique. Il ne peut que susciter l'adhésion. (...) Qui ne saurait adhérer au souci de mettre en harmonie le rentable, le viable et l'équitable ? La conjonction des trois idéaux ne peut que susciter l'enthousiasme. La réalité de la mise en harmonie s'avère nettement plus délicate. Derrière la pétition de principes faisant de cette harmonieuse trinité vertueuse la recette miracle du développement durable ne peut-on pas déceler une forme de mystification qui tend à faire croire que tout est compatible ou que la vertu incantatoire des slogans peut masquer les formidables inégalités sociales et spatiales à l'œuvre sur la planète ?[2]
Ces quelques lignes suffisent pour s'interroger sur l'utilisation dans le champ scientifique du développement durable tant les bases théoriques apparaissent fragiles. C'est d'autant plus vrai que le développement durable a largement été galvaudé et instrumentalisé par les entreprises (greenwashing) et les collectivités publiques en charge de son développement. On peut prendre le cas du commerce (Dugot,Pouzenc, 2010). Doit-on pour autant suivre les bataillons de plus en plus nombreux qui en réfutent aujourd'hui la pertinence? Les questions posées dès l'origine restent d'actualité. Il s'agit toujours de promouvoir un développement économique qui se fassent dans le respect des dimensions sociales et environnementales. La prégnance de cet objectif croît à l'aune de la progression d'une population qui devrait atteindre entre 10 et 11 milliards d'individus à la fin du XXI° siècle. L'histoire récente des pays émergents montre en outre que ces populations ont des aspirations en termes de consommation. Il y aura donc une pression grandissante sur les ressources de la planète. La nécessité d'une évolution des paradigmes productivistes et consommatoires, l'émergence d'une économie circulaire, l'impératif de penser une transition écologique reste des marqueurs pérennes de l'épanouissement équilibré de l'humanité. Que l'on parle d'épanouissement ou de développement importe peu . Que l'on s'interroge sur ce que cela signifie ou ce dont il s'agit de quantifier n'est pas contradictoire avec la nécessité de s'interroger sur la durabilité du rapport de l'homme avec lui-même et le reste de la planète.
En définitive, autant il convient de conserver une distance prudente par rapport aux nombreux exemples de produits ou de pratiques dites durables, autant il ne faut pas adhérer trop rapidement à la mode déconstructiviste consistant à balayer d'un revers de main ce que représente le développement durable.