Psychologie, statistique et psychométrie

Cette première grande leçon introduit la psychométrie et la statistique dans la perspective historique du développement de la psychologie scientifique à partir du XIX e siècle, afin de permettre aux étudiants de comprendre les enjeux épistémologiques, scientifiques, et techniques de ces matières. Ces enjeux comprennent en particulier l'établissement de grandeurs mesurables et la mise au point de méthodes objectives pour l'étude de la variabilité induite expérimentalement ou observée en condition naturelle.

Rédaction : Éric Raufaste, Stéphane Vautier

2. Variabilité et invariants en psychologie

Objectifs. Introduire les notions de variabilités inter-individuelle et intraindividuelle.

Prérequis. Leçon : la science comme dialogue avec le réel.

Résumé. La science est fondamentalement une recherche d'invariants. Cette recherche passe par l'analyse de la variabilité des phénomènes étudiés pour en inférer la structure sous-jacente (induction) ou pour tester les prédictions des théories imaginées pour rendre compte de ces phénomènes.  

Dans l'article précédent, nous avons vu que la science procède par aller-retour entre observations du monde empirique et construction de systèmes descriptifs et explicatifs dans le monde des croyances. Nous allons maintenant développer deux notions complémentaires qui permettent de joindre ces deux ordres de réalités. 


1. Notion générale d'invariant 

(…) la stratégie fondamentale de la science dans l'analyse des phénomènes est la découverte des invariants. Toute loi physique, comme d'ailleurs tout développement mathématique, spécifie une relation d'invariance...
                     Jacques Monod (1970, p. 134).
                     Le Hasard et la Nécessité


Il peut y avoir des motivations très différentes pour inciter un chercheur à produire des connaissances. Une première motivation est la pure curiosité intellectuelle, l'envie de comprendre comment les choses marchent en général. Une autre motivation est l'envie de mieux maîtriser le monde. En effet, si l'on comprend comment les choses marchent, alors on peut plus facilement se placer en position de les contrôler. Ce qu'on appelle usuellement « recherche fondamentale » est ainsi la production de croyances censées s'appliquer à de multiples situations plus ou moins différentes des situations où ont été faites les observations qui ont conduit à produire ces connaissances. On considère qu'on a appris quelque chose si la croyance que l'on a produite à partir d'une observation trouve à s'appliquer pour expliquer ou prédire de nouvelles situations. Il faut donc bien qu'il y ait un point commun à ces différentes situations et que ce point commun soit décrit de façon satisfaisante par le système de croyances que l'on a adopté pour en rendre compte. Un tel point commun est ce qu'on appelle un invariant.

Le lecteur devrait pouvoir reconnaître sans problème que l'essentiel des connaissances fondamentales sur le monde empirique est constitué de descriptions dites générales précisément parce qu'elles décrivent quelque chose d'invariant. 


2. Relations entre invariants et déterminismes

Le problème immédiat lorsque l'on considère les phénomènes psychologiques tient précisément à l'incroyable diversité des formes que peuvent revêtir nos comportements et à leur caractère finalement assez peu prédictibles. Historiquement, les invariants psychologiques ont été recherchés à partir de deux types de déterminants complémentaires : les déterminations biologiques et sociales. En effet, plus les phénomènes que l'on étudie sont proches du niveau biologique, et plus les déterminations biologiques contraignent la diversité. Le comportement de l'embryon est très prévisible, car très déterminé biologiquement. Pour ne prendre qu'un exemple, les humains peuvent percevoir les sons dans une bande de 20 à 20000 Hz. Les individus capables de percevoir les ultra-sons au-delà de 20000 Hz sont très rares, d'autant plus rares que la fréquence considérée est supérieure à 20000 Hz. D'un autre côté, société et culture contraignent, elles aussi, les comportements. Ainsi, un individu né en France et élevé en France aura une très forte probabilité de parler français plutôt qu'une autre des milliers de langues actuellement présentes dans le monde.

Si la diversité des contraintes auxquelles est soumis un individu finit par imposer certains invariants dans les comportements, il reste que chaque sujet humain possède une part de liberté qui rend son comportement non totalement prévisible. La psychologie en tant que science descriptive peut précisément être considérée comme la recherche des invariants du comportement humain qui ne se laissent réduire ni au niveau biologique ni au niveau social. En tant que science explicative, il s'agit de la recherche des mécanismes psychologiques qui causent ces invariants comportementaux. La psychologie en tant que science descriptive peut précisément être considérée comme la recherche des invariants du comportement humain qui ne se laissent réduire ni au niveau biologique ni au niveau social

La démarche scientifique vise l'objectivité. Le propre de l'objectivité, c'est la possible mise en commun entre plusieurs individus d'une réalité qui existe en dehors de chacun d'eux. Ainsi, une croyance aura d'autant plus tendance à être considérée comme une connaissance au sens fort (une « croyance vraie », si l'on préfère) si tous les individus qui la considèrent s'accordent sur sa validité. Ce critère se retrouve sous une autre forme bien connue : la nécessaire réplicabilité des expériences, c'est-à-dire le fait qu'une expérience scientifique devrait produire les mêmes résultats quelle que soit la personne qui réalise l'expérience. Ainsi, la science en général s'applique à elle-même un critère d'invariance relativement à la transformation qui consiste à passer d'un individu expérimentateur à un autre.