Psychologie, statistique et psychométrie

Cette première grande leçon introduit la psychométrie et la statistique dans la perspective historique du développement de la psychologie scientifique à partir du XIX e siècle, afin de permettre aux étudiants de comprendre les enjeux épistémologiques, scientifiques, et techniques de ces matières. Ces enjeux comprennent en particulier l'établissement de grandeurs mesurables et la mise au point de méthodes objectives pour l'étude de la variabilité induite expérimentalement ou observée en condition naturelle.

Rédaction : Éric Raufaste, Stéphane Vautier

3. Dimensions de la variabilité en psychologie

3.1. Subjectivité et objectivité

Dans l'article précédent, nous avons introduit les notions de variabilité et d'invariants. Nous allons maintenant nous interroger sur les dimensions de la variabilité en psychologie, c'est-à-dire identifier des façons différentes et indépendantes d'aborder cette variabilité. Nous considérerons en particulier deux dimensions : le couple phénomènes subjectifs/ phénomènes objectifs et la distinction entre les phénomènes intra et interindividuels.

(…) nous saisissons dans notre perception, tout à la fois, un état de notre conscience et une réalité indépendante de nous.
                            H.Bergson, Matière et Mémoire (1999,p.229).

Traditionnellement, en psychologie, les phénomènes auxquels on s'intéresse sont de deux ordres très différents, qui impliquent chacun leur méthode privilégiée d'investigation : les données observables, et les données subjectives. 


Les données observables

Le premier ordre de phénomènes concerne les éléments « directement observables par le chercheur (éventuellement au travers d'un instrument ou d'une grille d'analyse). Il peut s'agir de comportements, mais aussi de manifestations physiologiques plus ou moins faciles d'accès comme les mouvements oculaires (l'enregistrement des endroits regardés par l'œil en temps réel), l'électroencéphalogramme, l'enregistrement des variations électriques à la surface de la peau, la consommation d'oxygène dans le cerveau, les temps de réponse, etc. Ces indices nous renseignent de façon assez objective sur les processus psychologiques en train de se dérouler (bien que de la subjectivité puisse déjà se nicher dans le choix des éléments observés ou dans la construction des grilles d'analyse). Se pose cependant le problème de la signification qu'il faut leur donner.

Par exemple, si l'on observe que les mains d'un garçon deviennent moites chaque fois qu'il est mis en présence d'une fille particulière, on est sûr que cette fille le fait réagir. Mais quelle signification psychologique donner à cette réaction : Est-ce du désir ? Ou bien qu'elle lui rappelle quelqu'un qu'il a connu et dont il n'a pas encore intégré la perte ? Ou bien refoule-t-il une homosexualité qu'il n'assume pas ? Ou mille autres explications dont la variété n'est limitée que par l'imagination de l'observateur.


Les données subjectives

Le second grand ordre de phénomènes qui nous occupe en psychologie concerne les contenus de conscience, à savoir les impressions subjectives ressenties par les sujets et rapportées au chercheur au travers du langage. Par exemple, supposons que je veuille évaluer le degré de confort ressenti par un consommateur qui essaie une voiture. Ou encore le niveau d'angoisse qu'il ressent en général. Ou encore la confiance qu'il ressent en l'avenir. Ces choses sont accessibles à la conscience du sujet, mais ne le sont pas (en tout cas pas encore) à l'investigation technologique indépendante des verbalisations. Bien que largement discréditées au début du XX^e siècle avec l'apparition du behaviorisme, suite à l'échec des travaux fondés sur l'introspection, les mesures subjectives sont aujourd'hui de plus en plus utilisées, même si cela s'accompagne normalement d'un luxe de précautions méthodologiques pour minimiser les risques d'obtenir des données sans réelle fiabilité. Elles ont en effet un intérêt appliqué pour remplir divers objectifs au rang desquels figure, par exemple, la construction de situations de travail plus ergonomiques, moins pénibles, sollicitant moins les ressources des individus placées dedans.

Ici, la psychologie se démarque fondamentalement des sciences qui visent l'objectivité complète (dans l'objet étudié comme dans la description qui en est donnée). Depuis la fin du behaviorisme, dans les années 1950, on considère que la psychologie doit aussi s'intéresser aux contenus des expériences subjectives, visant en quelque sorte à objectiver ce qu'il peut y avoir d'invariant dans les expériences subjectives.

Remarque importante

Le lecteur attentif aura pu remarquer que nous n'avons pas fait le choix d'opposer aux données subjectives les données « objectives », mais les données « observables ». Ce choix repose sur deux raisons principales.

  • La première tient à ce qu'on sait maintenant que des expériences subjectives peuvent parfois être au moins partiellement objectives au sens scientifique. L'expérience de la douleur par exemple, a des corrélats physiologiques. Il s'ensuit que la notion de subjectivité ne s'oppose pas nécessairement à l'objectivité scientifique.
  • La seconde raison, complémentaire, tient à ce que le caractère observable d'une donnée ne garantit pas non plus son objectivité au sens scientifique. Ainsi, il est possible d'avoir des biais systématiques dans le système de mesure, lequel repose d'ailleurs sur des présupposés théoriques dont on s'aperçoit parfois ensuite qu'ils étaient contestables.