Psychologie, statistique et psychométrie

Cette première grande leçon introduit la psychométrie et la statistique dans la perspective historique du développement de la psychologie scientifique à partir du XIX e siècle, afin de permettre aux étudiants de comprendre les enjeux épistémologiques, scientifiques, et techniques de ces matières. Ces enjeux comprennent en particulier l'établissement de grandeurs mesurables et la mise au point de méthodes objectives pour l'étude de la variabilité induite expérimentalement ou observée en condition naturelle.

Rédaction : Éric Raufaste, Stéphane Vautier

5. Quantification de la variabilité

5.4. La quantification en psychologie, mesure ou codage ?

Jusqu'ici nous avons introduit les outils conceptuels qui vont nous permettre de décrire la réalité sous une forme mathématique, grâce en particulier aux concepts d'individu, de variable, et de population. Grâce à ces concepts, nous sommes en mesure de penser la réalité psychologique. Il reste que pour appliquer ces outils conceptuels à des situations concrètes, il va nécessairement falloir passer par une étape où la réalité observée sera traduite, codée, en termes des variables que nous nous serons données et des modalités que nous avons définies pour ces variables. La question du codage de la réalité perçue en langage formel, et des conditions de bonne réalisation de ce codage, est au cœur de la psychométrie, mais aussi au cœur de la statistique qui ne pourrait s'appliquer sans cela. 


Peut-on parler de mesure en psychologie ? 

Spontanément, on aurait envie de dire que mettre des nombres sur la réalité empirique, c'est précisément ce que l'on fait quand on réalise un mesurage, autrement dit qu'on mesure un objet de la réalité. Examinons de plus près cependant ce que cela signifie. Considérons la définition suivante du terme « mesure » :

Action de déterminer la valeur de (une grandeur) par comparaison avec une grandeur constante de même espèce, prise comme terme de référence.
Grand Robert Électronique

On voit là que la mesure est prise comme rapport par rapport à une valeur étalon. Par exemple, la valeur étalon étant le mètre, dire d'un individu qu'il mesure 1,73 m signifie que sa taille est dans un rapport de 1,73 avec le mètre étalon. Comme le remarque Stéphane Vautier (in « Cours de Psychométrie, Notions élémentaires de la théorie classique des tests ») :

Si l'on peut définir une unité de mesure de la grandeur comme par exemple le mètre pour les distances ou le gramme pour les masses, les problèmes de mesure reviennent essentiellement à améliorer la précision et la fiabilité des instruments.

Mais l'on voit immédiatement que cette définition pose un problème au psychologue car, comme nous l'avons vu dans la page précédente, les variables auxquelles doit faire face ce dernier sont loin de toujours posséder les propriétés d'une variable de rapport. D'où le problème résumé dans la citation suivante :

Au sens large, "mesurer" c'est faire correspondre des nombres aux choses selon certaines règles, c'est faire correspondre certaines propriétés des choses avec certaines propriétés des nombres (...) la difficulté réside alors dans l'isomorphie ou l'adéquation plus ou moins forte entre les propriétés des nombres - établies dans le monde mathématique - et les propriétés de la variable étudiée - établies dans le monde psychologique, sociologique, médical etc (...) 
                               B. Beaufils, in Études de statistiques descriptives. Cours du CNED.

Dans certains cas, cette adéquation semble assez directe. Par exemple, quand le psychologue cognitiviste mesure des temps de réponse, ces temps possèdent toutes les propriétés bien connues des mesures de temps. Mais dans d'autres cas, cette correspondance est loin d'être évidente et doit reposer sur des méthodes indirectes.

On ne saurait restreindre la légitimité de la mesure aux seuls cas où l'on peut la fonder sur une axiomatique permettant une vérification directe. Il importe cependant, dans les autres cas, d'avoir une claire conscience des hypothèses sur lesquelles est fondée la technique de mesure et de garder le souci d'en tester la validité de manière indirecte.
                        Jean-François Richard. in Sciences Humaines - Mesures, Encyclopedia Universalis.

La notion de codage 

Dans ces conditions, comment appeler le processus d'attribution d'une valeur ou d'une modalité à une variable à partir de l'observation de la caractéristique correspondante d'un individu ? Une solution serait d'utiliser le terme « observation ». Malheureusement, ce dernier est encore plus problématique pour plusieurs raisons. La plus importante est que l'usage dans les sciences en général (cela dépasse largement la discipline psychologique) est d'opposer l'observation à l'expérimentation. L'observation est conçue comme une méthode de recueil de données sur une réalité accomplie de façon à ne pas perturber cette dernière, tandis que l'expérimentation passe au contraire par la manipulation directe des conditions du recueil de données. Or, nous cherchons une terminologie qui doit pouvoir s'appliquer indifféremment dans ces deux cas.

Dans ce site, nous adopterons donc la démarche suivante : nous qualifierons de codage l'opération qui consiste à attribuer un nombre ou une catégorie à des objets empiriques. Nous parlerons de codage numérique lorsque le résultat du codage utilisera une variable numérique, codage ordinal, lorsqu'il s'agira d'une échelle seulement ordinale.