4. Mesurage : logique et usage

4.4. Mesurer l'attachement au quartier d'un type

Pour mesurer l'attachement au quartier d'un type, on va d'abord construire ce type de manière à ce qu'il puisse être appréhendé empiriquement. Autrement dit, on veut matérialiser ce type. On peut identifier quatre étapes :

  •  On doit d'abord résoudre le problème du mesurage de l'attachement au quartier de quiconque à un moment quelconque, ce qui permettra de donner au résultat du mesurage le statut d'un événement empirique.
  • Le procédé même du mesurage définit un espace d'échantillonnage (sampling space), c'est-à-dire l'ensemble de tous les événements élémentaires qui peuvent en principe se produire lorsqu'on fait une expérience de mesurage, c'est-à-dire lorsqu'on mesure l'attachement au quartier de quiconque à un moment quelconque (i.e., un point dans la population).
  • On procède alors à l'échantillonnage, c'est-à-dire qu'on effectue un certain nombre de mesurages auprès d'un échantillon de points (i.e., de couples (personne, moment)).
  • On choisit ensuite un indice de centralité (i.e., une statistique, comme le mode ou la moyenne) pour calculer la valeur prise par la statistique du type. 

Avant d'entrer dans les détails, insistons sur le point suivant : connaître la valeur prise par la statistique associée à l'échantillon ne permet pas de régler complètement le problème de la matérialisation du type. Car le type correspond à une distribution de probabilité qui est par construction inconnue et inconnaissable. La statistique d'échantillon ne nous donnera donc qu'une image partielle du type. Le principe même du type est que cette image varie : il y a autant d'images que d'échantillons possibles, et on sait que ces échantillons sont différents les uns des autres, puisqu'il existe des différences individuelles du point de vue de ce qui est mesuré. Cette variabilité est ce qu'on appelle en statistique l'erreur d'échantillonnage, ou encore, au pluriel, les fluctuations d'échantillonnage (voir Population et échantillons).

Le problème de recherche est posé de telle manière que le type restera toujours inconnu d'un point de vue empirique, et qu'on parlera de lui en se fondant sur quelques-unes de ses images. En général, le chercheur en psychologie se contente d'une seule image. Du point de vue philosophique, le chercheur en psychologie s'intéresse ici à une fiction qui n'a pas la vocation de correspondre à quiconque à un instant quelconque. Son objet d'étude est un pur concept (i.e., il ne correspond pas à quoi que ce soit de réel, mais, en tant que concept, il constitue une réalité sociale, parfois très utile pour les stratèges de la vente et de la communication -- cf. la description des goûts de la mère de famille moyenne en matière d'alimentation).

Revenons donc au premier sous-problème à résoudre : mesurer l'attachement au quartier de quiconque à un moment quelconque. La solution est simple. On se donne les six questions d'attachement au quartier, ce qui permet de décrire quiconque répond aux questions à un moment quelconque. Ainsi, on règle le problème insoluble suivant : comment rendre le vécu observable ? Mais ne soyons pas naïfs, ce qui est observé n'est pas le vécu, mais un ensemble de réponses qui dépend pour une part du vécu de la personne et pour une part des questions qu'on lui pose et du format des réponses qu'on lui impose.

Prévenons un malentendu : le problème n'est pas que le domaine des observables soit contingent, c'est qu'on l'identifie avec le vécu. Si on veut étudier la psychologie des gens de manière scientifique, il faut bien s'appuyer sur des descriptions objectives (cf. Mesurer ou décrire ?). Mais si on veut étudier de manière objective le vécu de Paul par rapport à son quartier, alors on a un problème insurmontable, c'est qu'on ne peut pas se glisser dans son vécu. Le problème en psychologie est de cultiver la naïveté qui consiste à croire qu'on peut faire une science du subjectif grâce à ce qu'on appelle des mesures psychologiques. Aucun mesurage n'est capable d'atteindre le subjectif, pour des raisons non pas technologiques, mais logiques. Il n'est logiquement pas possible d'affirmer que A est égal à non A. Or le mesurage, en tant que forme particulière d'observation, est un processus d'objectivation. Le raisonnement qui précède a une conséquence étonnante : c'est qu'un questionnaire donne accès à un monde de réponses aux items du questionnaire. La technique du questionnaire permet éventuellement de développer une science des réponses à des questions. Et les réponses des gens aux items du questionnaire ne correspondent pas à l'intensité de l'attachement au quartier parce que cette notion dénote un vécu. La négation de ces limites logiques constitue une erreur scientifique. Cette erreur peut se transformer en attitude frauduleuse si on persiste dans l'erreur en toute connaissance de cause.

On dispose d'une technique pour recueillir des observations lorsqu'on interroge quiconque à un moment quelconque (négligeons la nécessité que cette personne soit disposée à ce moment pour bien vouloir répondre à nos questions). Partant, nous avons défini notre espace d'échantillonnage, à ne pas confondre avec l'échantillon : l'espace d'échantillonnage est l'ensemble de toutes les réponses possibles à notre questionnaire. Une réponse est la donnée des six réponses à notre questionnaire, c'est un 6-uplet (plus généralement, on parlera d'un vecteur ou d'un m-uplet, m indiquant le nombre de données contenues dans le vecteur). Par exemple, le 6-uplet (1, 2, 1, 3, 4, 1) est une réponse possible au questionnaire.

Le problème qui surgit immédiatement est qu'on ne sait pas traduire ce 6-uplet en degré d'intensité d'attachement au quartier. Ceci devrait nous faire douter du bien-fondé du projet de mesurage de l'intensité de l'attachement au quartier. Non seulement, le vécu n'est pas pénétrable, mais encore les observables qui résultent de la technique du questionnaire n'ont pas le caractère logique d'une grandeur. Face à ce problème, les chercheurs adoptent une solution symbolique (et non pas instrumentale ), qui prend ici la forme suivante :

  • recoder les réponses de la question 5 à l'envers : 1 devient 5, 2 devient 4, etc. jusqu'à 5 devient 1;
  • additionner les chiffres du 6-uplet. 

On obtient ainsi un score d'attachement au quartier, et donc un nouvel espace d'échantillonnage qui est l'ensemble des nombres {6, 7, ..., 30} (cf. Score psychométrique).

Note. Rioux et Mokounkolo utilisent ce qu'on appelle des "scores factoriels", qui sont des nombres issus d'opérations arithmétiques complexes, dont la spécification repose sur les données d'un échantillon. Mais ces calculs ne modifient pas le caractère logiquement frauduleux du mesurage parce qu'ils reposent sur l'additivité des nombres qui codent les réponses aux questions des items, quand bien même personne ne sait ce que signifie l'addition des degrés de réponse constituant les échelles de réponse (pas du tout d'accord + tout à fait d'accord = ?).

Grâce à ce procédé symbolique, il est possible de sonder le type qui nous intéresse, par exemple "les jeunes filles", en interrogeant par exemple 200 jeunes filles satisfaisant ce qu'on appelle des critères d'inclusion (par exemple, avoir entre 12 et 25 ans). Concrètement parlant, un type comme "les jeunes filles" est un type trop vague, parce qu'il faut exclure les jeunes filles chinoises par exemple.

Ainsi équipé, le chercheur peut comparer le mode d'un échantillon de manifestations du type "les jeunes filles" au mode d'un échantillon de manifestations du type "les jeunes garçons". Ces deux modes servent de mesures de l'intensité de l'attachement au quartier des deux types, sachant que l'erreur d'échantillonnage empêche d'être tout à fait sûr que le résultat de la comparaison, par exemple, le fait que le premier mode soit supérieur au second, sera reproductible si on utilise deux autres échantillons.

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