La science : entre connaissance et incertitude

Objectif. Montrer comment la Statistique a pu prendre sa place dans le paysage des sciences.

Prérequis. Aucun.

Résumé. Avec le développement des sciences empiriques, les sciences sont passées d'une perspective où la connaissance était constituée de certitudes absolues exclusivement basées sur l'exercice de la raison, à une perspective où l'incertitude inhérente au monde matériel est acceptée

rédaction : Éric Raufaste.

2. De la connaissance à l'ignorance partielle

La position déterministe pure

À l'époque, une doctrine philosophique importante trouve grâce aux yeux de nombreux savants : le déterminisme.

Selon le crédo déterministe, tout état du monde découle entièrement et nécessairement des états qui l'ont précédé. Cette position philosophique a notamment été défendue par le mathématicien et physicien français, Pierre-Simon de Laplace (1749-1827). On lui doit notamment l'idée d'un intellect de capacité quasi-infinie, ultérieurement baptisé "démon de Laplace", qui connaitrait tous les éléments de l'univers et toutes les forces susceptibles de mouvoir ces éléments. Alors, selon Laplace, cet intellect serait capable de calculer tous les états ultérieurs de l'univers de sorte que rien ne serait incertain et que le futur lui apparaîtrait aussi sûrement que le présent.

Cela étant, il est bien clair pour tout le monde, à commencer par Laplace lui-même, qu'un tel intellect est un idéal inatteignable. Donc même si le monde est entièrement déterminé, la connaissance que nous en avons ne peut être que parcellaire.

Ainsi les aléas de la fortune nous apparaissent-ils comme le fruit du hasard, mais seulement au sens où, n'ayant pas connaissance de l'ensemble des facteurs qui déterminent un état du monde, la logique de l'évolution de la situation nous échappe.




La mécanique quantique et le renoncement au déterminisme

Au XXe siècle, les progrès de la physique vont transformer radicalement la perception de la nature même du monde. En effet, l'un des fondateurs de la mécanique quantique, l'allemand Werner Heisenberg, va démontrer mathématiquement qu'il est impossible de connaitre avec précision à la fois la vitesse et la précision d'un électron. Toute amélioration de la précision de la mesure d'une des deux quantités se traduit par une perte de précision quant à l'autre quantité. Plus important, cette incertitude n'est pas due à la mesure, mais à une propriété des valeurs en question : améliorer la précision des instruments n'y pourra rien. Il s'agit là d'une transformation majeure de la perception du monde physique. L'idée même que le fonctionnement du monde est déterministe est éliminée. L'incertitude est inscrite dans la nature même du monde, comme le décrit très bien cette citation d'un autre des fondateurs de la mécanique quantique, le français Louis de Broglie :

"Du même coup, disparaît le déterminisme des phénomènes admis par l'ancienne Physique et qui était lié à la possibilité de se faire une image précise de la réalité physique dans le cadre de l'espace et du temps. On ne peut plus en général prévoir avec certitude les phénomènes qui vont avoir lieu : seules les probabilités des divers phénomènes possibles sont accessibles à nos calculs. Il est vrai qu'entre chaque mesure les probabilités ont une évolution rigoureuse réglée par l'équation d'ondes, mais chaque mesure ou observation nouvelle, par les informations qu'elle nous apporte, rompt le cours de ce déterminisme des probabilités".
                          Louis de Broglie, Nouvelles perspectives en microphysique, p. 133, Albin Michel, 1958.

Par leurs succès incroyables, la physique et l’astronomie ont propagé dans notre société la croyance en un déterminisme fort, idée bien confortable à de nombreux égards. Mais que l’on considère la citation suivante, du président de l'International Union of Theoretical and Applied Mechanics:

« Ici, il me faut m'arrêter et parler au nom de la grande fraternité des praticiens de la mécanique. Nous sommes très conscients, aujourd'hui, de ce que l'enthousiasme que nourrissaient nos prédécesseurs pour la réussite merveilleuse de la mécanique newtonienne les a menés à des généralisations dans le domaine de la prédictibilité [...] que nous savons désormais fausses. Nous voulons collectivement présenter nos excuses pour avoir induit en erreur le public cultivé en répandant à propos du déterminisme des systèmes qui satisfont aux lois newtoniennes du mouvement, des idées qui se sont, après 1960, révélées incorrectes »
              J.Lighthill, «The Recently Recognized Failure of Predictability in Newtonian Dynamics», in Proceedings of the Royal Society, vol. A 407, pp.35-50,
             Londres, 1986. Traduction de Ilya Prigogine et Isabelle Stengers , Encyclopedia Universalis en ligne, article «Hasard et Nécessité».

Et voilà donc le monde soumis aux caprices de Dame Fortune... Doit-on pour autant abandonner tout espoir de prévoir rationnellement le devenir du monde ? C'est là qu'interviennent les théories de l'incertitude !