Psychométrie : théorie et applications

Le titre développé de cette grande leçon est « Du qualitatif au quantitatif : théorie et applications ». Consacrée à la psychométrie, elle approfondit la problématique de la mesure en psychologie selon deux perspectives. 

  • D’une part, il s’agit d’expliciter la construction d’un observable comme le processus de composition d’applications, processus qui permet de transcrire des énoncés qualitatifs en énoncés quantitatifs. 
  • D’autre part, il s’agit de montrer comment l’utilisation des prévisions qu’il est possible de dériver statistiquement à partir des « sorties » de l’observation psychotechnique étaye l’intervention du psychologue dans des problématiques de dépistage, de sélection et de conseil.

3. Risque et facteurs de risque

3.2. Conditions et ordre partiel

Prenons l'exemple du risque suicidaire ; on s'intéresse à la possibilité que quelqu'un se suicide. Par exemple, on considère :

  • C1 : l'envie de se suicider (oui = 1, non = 0),
  • C2 : le fait de connaître le "pont des suicidés", un pont d'où se sont jetées plusieurs personnes (oui = 1, non = 0).

On définit l'application f: \Omega\to M(C_1)\times M(C_2) = \{00, 01, 10, 11\} qui, à toute personne âgée de plus de 12 ans évaluée à une certaine date, associe une certaine condition dans cet ensemble. Comment ordonner ces conditions du point de vue de l'acte qui consiste à se jeter dans le vide du haut de ce pont (sans élastique) ? 00 et 11 sont les extrema de cet ensemble, respectivement le minimum et le maximum. La question est de savoir si on peut ordonner les couples 01 et 10.

Ce mode de suicide est-il plus possible pour quelqu'un qui n'a pas envie de se suicider et qui connaît le pont des suicidés que pour quelqu'un qui a envie de se suicider et qui ne connaît pas ce pont (i.e., a-t-on 01 > 10) ? Nous ne voyons pas de raison de répondre par l'affirmative. De même, nous ne voyons pas pourquoi on pourrait affirmer 10 > 01. Bien entendu, nous avons négligé d'autres modes opératoires du suicide, et il conviendrait de commencer par en faire la liste.

Nous voulons montrer par cet exemple qu'étant donné un certain ensemble fini de conditions possibles, y compris les modes opératoires du suicide, il est douteux que cet ensemble puisse être simplement ordonné (voir Ordre simple) du point de vue de l'intuition d'une échelle de degrés de possibilité du suicide. Autrement dit, si on définit un ensemble de conditions possibles, dont la structure peut être très complexe étant donné que les circonstances d'un suicide sont ancrées dans des histoires individuelles, il est douteux que cet ensemble puisse être simplement ordonné.

La compréhension de l'acte de suicide relève de l'enquête policière et en pratique, les travailleurs sociaux, au sens large, sont confrontés à des contraintes matérielles (et peut-être psychologiques) qui les empêchent d'étudier minutieusement ce qui rend possible qu'une personne donnée se suicide selon tel ou tel mode opératoire. D'où la notion statistique de facteur de risque (suicidaire).